Dans la soirée du 15 octobre à l’occasion du lancement des premières conférences Kappy, l’historienne et écrivaine Judith Flanders, explorera le thème de la mort telle qu’elle est représentée dans les œuvres artistiques en compagnie de deux célèbres écrivaines de romans policiers, la canadienne Louise Penny et l’américaine Donna Leon.
La conférence aura lieu à Montréal et elle est offerte gratuitement à tous. Judith Flanders est une historienne, journaliste et auteure de renom dont les travaux se concentrent sur la période victorienne.
Elle écrit également comme critique d’art de livres, de danse et d’œuvres d’art et elle a travaillé comme consultante historique de jeux vidéo. Elle est née à Londres mais a passé son enfance à Montréal. Après l’université, Judith est retournée vivre à Londres pendant 40 ans. Sa publication la plus récente, Rites of Passage, publiée au Royaume-Uni le 29 février 2024, explore la mort et le deuil dans la Grande-Bretagne de l’époque victorienne.
Emily Adam (EA) :
Je vois que vous vous joindrez à nous au Congrès international des soins palliatifs de McGill au mois d’octobre. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos liens avec le Palliative Care McGill?
Judith Flanders (JF) :
Ma mère, Kappy Flanders, était très impliquée dans les soins palliatifs. Elle a travaillé avec le Dr Balfour Mount pendant de nombreuses décennies, contribuant à la création de la première chaire de médecine palliative en Amérique du Nord. Elle a ensuite créé le Palliative Care Council à l’Université McGill.
Après sa mort, ma sœur cadette Elle et moi avons souhaité poursuivre son œuvre. Ayant récemment écrit un livre sur la mort et le deuil au XIXe siècle, il m’a semblé utile de participer au Congrès des soins palliatifs cette année pour discuter des attitudes face à la mort et à l’agonie ainsi que de ce que nous pouvons apprendre du XIXe siècle… et pour remercier Dieu pour les analgésiques et les antibiotiques!
EA : Parlez-nous davantage de la conférence que vous animerez le 15 octobre?
JF : De nos jours, la plupart des gens côtoient la mort dans des œuvres artistiques. Qu’il s’agisse de télévision, de cinéma ou de livres. Soit c’est incroyablement sanglant et dégoûtant, soit c’est beau et déchirant, mais c’est généralement tamisé et ne traite pas directement du sujet.
L’une des façons avec laquelle de nombreuses personnes interagissent avec l’idée de la mort c’est dans les romans policiers. Alors Elle a pensé qu’il serait intéressant d’en discuter avec ma participation en tant qu’historienne sociale, et celle de Louise Penny et Donna Leon, toutes auteures de romans policiers.
EA : Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder ce sujet de manière aussi approfondie dans votre nouveau livre?
JF : J’ai écrit plusieurs livres sur la vie dans les foyers de l’époque victorienne et sur les occupations quotidiennes. Il semblait donc logique de passer de la façon dont ils vivaient à la façon dont ils mouraient parce que cela faisait tellement partie du même récit. Dans le livre je raconte l’histoire du Doyen de Carlisle et de sa femme. Ils avaient sept enfants âgés entre environ 12 ans jusqu’à un nouveau-né. L’un des enfants a attrapé la scarlatine et, en quatre semaines, cinq de leurs enfants sont morts. C’était horrible, mais pas si inhabituel.
Attending the Mourning of a Young Girl, John Everett Millais
Dans les années 1960 et 1970 un groupe d’historiens affirmait que les parents dans le passé ne s’investissaient pas émotionnellement avec leurs enfants car ils savaient que les enfants risquaient de mourir au cours de leurs premières années. Je le dis en tant qu’académique et chercheure, c’est la chose la plus stupide que j’ai jamais entendue. Le Doyen et son épouse ont écrit sur les décès dans leur journal respectif. Il est clair qu’ils se souciaient de leurs enfants; ce fut une période terrible pour eux et ils ne s’en sont vraiment jamais remis. Je me suis donc intéressée à la façon dont les gens vivaient avec ce genre de tragédies très courantes à l’époque. Qu’est-ce que ça nous fait?
EZ : Votre livre fait référence au chagrin et au deuil. Pouvez-vous m’en dire davantage à ce propos?
JF : L’un des personnages dont je parle dans le livre est la reine Victoria. Son mari est décédé quand elle avait 42 ans et elle a vécu jusqu’à plus de 80 ans dans un deuil perpétuel, remarquable et ostentatoire. Aujourd’hui, certains pensent qu’à l’époque les gens trouvaient que c’était admirable, mais en fait la plupart des gens trouvaient aussi que c’était mal. Pendant un certain temps, il y avait de la sympathie, mais finalement les gens ont estimé qu’elle devait se ressaisir et se remettre au travail! J’en ai parlé avec un thérapeute spécialisé dans le deuil et il ne fait aucun doute que Victoria a fait une dépression après la mort de son mari. Son propre médecin a noté qu’elle avait passé quelques années dans un état proche de la folie. Si vous regardez la liste des critères du DSM* qui indiquent quand une personne serait plus susceptible de vivre un deuil désordonné, excessif et très long, Victoria les rencontraient tous.
*DSM Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
EA : Y a-t-il autre chose qui vous a vraiment surpris lors de vos recherches pour ce livre?
Par Camille Silvy, photographiés après la mort, pour que leurs parents se souviennent d’eux.
JF : La ressemblance des réponses à l’épidémie de choléra de 1832 et de COVID était bizarre et surprenante. Les gens croyaient que le choléra n’existait pas et qu’il s’agissait d’un complot du gouvernement. Plus tard, lorsque des vaccins ont été développés pour d’autres maladies, les gens ont soupçonné qu’il s’agissait également d’un complot du gouvernement et qu’ils essayaient de tuer des gens pour obtenir plus de corps pour les écoles de médecine. La Anatomy Act adoptée en 1832 stipulait que si un corps n’était pas réclamé, il pouvait être vendu à une faculté de médecine pour l’étude de l’anatomie. Bien sûr, aucun corps de personnes des classes supérieures ou moyennes n’a été vendu à un hôpital, donc jusqu’à un certain point, ils n’avaient pas tort!
EA : Dans vos recherches, avez-vous trouvé beaucoup de références au rôle de la médecine dans le contexte de la mort et de l’agonie?
JF : En 1832, personne ne pouvait vraiment faire quoique ce soit contre presque toutes les maladies mortelles y compris le choléra, donc je ne pouvais pas aborder grand-chose en termes de soins médicaux. De nombreuses personnes, comme Florence Nightingale par exemple, ont guéri d’une infection virale mais elles sont ensuite devenues invalides, car sans médicaments elles ont souffert de lésions cardiaques ou d’autres maladies qu’elles ignoraient en lien avec leur infection virale. C’était plutôt sinistre et techniquement surtout palliatif. On utilisait alors énormément d’opium et d’alcool.
EA : Le domaine des soins palliatifs prône la nécessité de briser les tabous qui existent autour de la mort. Selon vous, que peut apprendre la société moderne sur la mort et l’agonie des victoriens?
JF : Bizarrement au XIXe siècle, une bonne mort était une mort lente, car on pouvait mettre de l’ordre dans ses affaires, parler à sa famille, etc. En réalité, une mort lente, pour la majeure partie de la population, signifiait probablement une pauvreté extrême pour le reste de votre famille, c’était donc plutôt un idéal. Mais on sentait que la fin approchait et on en parlait. Cependant, la grande différence entre aujourd’hui et cette période, c’est que la mort faisait partie de la vie quotidienne. Rendu à l’âge adulte, vous auriez soigné des membres de votre famille atteints de plusieurs maladies graves, les auriez vu mourir, auriez été auprès d’eux et de ceux qui en prenaient soin tout au long de la maladie. Le malade n’était pas écarté dans un espace aseptisé, mais faisait partie de votre vie quotidienne. Je ne recommande évidemment pas d’augmenter les taux de mortalité infantile, mais ce que nous pouvons peut-être apprendre du XIXe siècle, c’est comment intégrer la mort dans la vie, l’agonie dans la vie.
Carte funéraire du début du 18e siècle
Pour en savoir plus sur le Congrès international des soins palliatifs de McGill et sur la causerie du 15 octobre ouverte au public, Death in Crime Fiction (La mort dans les romans policiers), Svp visiter le https://www.mipcc2024.ca/home
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