Un dernier réveillon avant de s’en aller

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Cet article a été initialement publié par le Nouvellist le 3 septembre 2022. Pour l’article original, visitez ce lien.

Par Isabelle Légaré

CHRONIQUE / Normand-Gilles Pelletier sait qu’il n’en a plus pour très longtemps. L’homme gravement malade aimerait se rendre à Noël, mais rien n’est plus incertain que son état actuel. Une chose est sûre cependant: un réveillon, ça peut se faire n’importe quand. Si la situation l’exige, le sapin sera décoré en plein mois d’octobre. «On va danser le rigodon dans le salon, tu ne croiras pas ça!»

C’est Patricia Dellow qui lui en fait la promesse. L’accompagnement de fin de vie n’est pas la mission première de l’organisme qu’elle dirige, mais Normand-Gilles peut partir en paix. La femme et son équipe vont lui tenir la main jusqu’à son dernier souffle.

L’homme de 60 ans n’a plus de contact avec sa famille. Des amis? Pendant longtemps, l’alcool a été son plus fidèle compagnon. Une amitié toxique.

Après une thérapie pour mettre fin à cette dépendance, Normand-Gilles a franchi en 2018 les portes du Centre d’entraide Aux rayons du soleil, à Shawinigan. Ce lieu sert en quelque sorte de tremplin à des hommes et à des femmes qui demeurent fragiles pour toutes sortes de raisons, dont celles liées à la consommation, à des problèmes de santé mentale, à la pauvreté…

Normand-Gilles a adoré cet endroit qu’il a toutefois quitté prématurément après quatre mois, avant d’avoir fait le plein d’outils pour se construire une vie plus saine et équilibrée. Pour dire la vérité, le résident a rencontré une vieille connaissance avec qui il a recommencé à boire. Rechute et (re)descente aux enfers.

«J’ai fait une tentative de suicide en novembre 2021. Je suis resté trois jours aux soins intensifs et on m’a ensuite transféré en psychiatrie», raconte celui qui ne mangeait plus et perdait du poids à vue d’oeil.

Des examens plus poussés ont permis de déceler une maladie dégénérative, la dystrophie oculopharyngée qui touche principalement les muscles des paupières et de la gorge. Chaque cas est unique. Les symptômes de Normand-Gilles sont très sévères.

«Ma cage thoracique et l’oesophage rapetissent de plus en plus, jusqu’à ce que je ne respire plus», explique-t-il.

Les épaules frêles et l’oeil mi-clos, l’homme parle lentement et avec des difficultés d’élocution. Ses muscles de la déglutition sont atteints, entraînant fatalement des troubles respiratoires et une difficulté à avaler les aliments.

Opéré d’urgence en décembre dernier, Normand-Gilles croyait prolonger son espérance de vie de quelques années, mais les symptômes n’ont pas tardé à revenir. Ses muscles continuent de s’affaiblir à la vitesse grand V. Le pronostic a dû être revu. On parle maintenant de mois. Cinq? Six? Difficile à dire.

Sa décision est prise. En temps et lieu, Normand-Gilles demandera l’aide médicale à mourir pour apaiser définitivement ses souffrances. Être alimenté par sonde n’est pas une avenue pour lui.

Originaire de Rimouski, l’homme a vécu une vingtaine d’années à Québec avant de venir s’installer en Mauricie. Il vivait dans un logement, à Trois-Rivières, lorsque son état de santé s’est mis à décliner considérablement et que le personnel de santé gravitant autour de lui a convenu que le patient ne pouvait plus rester seul.

«Avez-vous un endroit où aller?», a-t-on demandé à Normand-Gilles qui ne se voyait pas vivre sa fin de vie dans une chambre d’un CHSLD. Tout naturellement, il a pensé à ce centre d’entraide du secteur Grand-Mère, à Shawinigan, qui l’avait jadis si bien accueilli.

Son passage aux Rayons du soleil avait été bref pour les raisons que l’on sait, mais l’ancien résident en avait toujours gardé un très bon souvenir.

«C’est comme une deuxième famille…», me dit-il en présence de Patricia Dellow et de Lucas Rivière, son intervenant qui a pleuré avec lui en apprenant dans le bureau du médecin que c’était vraisemblablement son dernier été.

Résilient, il en profite pour mettre la main à la terre, en entretenant à son rythme le potager de l’organisme communautaire. Si l’énergie est là, l’ancien ébéniste entend même donner un coup de pinceau aux rampes de la galerie sur la façade de l’immeuble. Depuis le mois de mai, il habite dans un des logements supervisés.

À différents moments durant la journée et la soirée, un surveillant passe le voir, question de s’assurer que tout va bien pour celui qui est également accompagné par Lucas lors de ses rendez-vous avec la nutritionniste, l’orthophoniste, le physiothérapeute…

Bientôt, c’est le personnel médical et infirmier en soins palliatifs qui viendront lui rendre visite entre les murs de cette ressource dont ce n’est pourtant pas le mandat d’accueillir une personne en fin de vie.

Mais pour Patricia Dellow, cela va de soi que Normand-Gilles peut compter sur chacun des membres de son équipe pour vivre cette ultime étape dans la bienveillance et dans la dignité.

«Si on ne peut pas faire cela pour toi, aussi bien arrêter notre mission. La réinsertion sociale, c’est aussi ça. On n’est pas là pour le volet médical, mais pour le soutien psychologique et le support moral.»

On s’assure que l’ami ne manque de rien, en prenant soin de lui acheter ce qu’il est capable de manger: des boissons nutritives, du «Jell-O», du yogourt, sa saveur préférée de crème glacée et autres petites douceurs.

«Est-ce qu’on peut être heureux?», demande simplement Patricia sans attendre la réponse.

«C’est pour cela qu’il nous a choisis», renchérit la femme avec affection pour cet homme qui a accepté de raconter son histoire à travers laquelle il souhaite nous rappeler ce qu’on tient souvent pour acquis.

«Une vie peut basculer en cinq secondes», dit-il, le regard songeur.

Normand-Gilles ne boit plus aucune goutte d’alcool depuis que le diagnostic est tombé. Ses émotions, il les vit maintenant à froid.

«Si je recommençais à consommer, j’en aurais pour deux semaines.»

Le brave homme préfère jardiner et distribuer sa récolte à ceux et celles qui seront à ses côtés pour les semaines et les mois à venir.

«J’aimerais me rendre à Noël», me confie-t-il avec sérénité.

Normand-Gilles connaît le traditionnel réveillon du Centre d’entraide Aux Rayons du soleil. Il y était en 2018 et souhaite revivre la magie de cette soirée du 24 décembre. Patricia Dellow ne fait pas les choses à moitié pour ses résidents qui ne peuvent pas célébrer en famille.

«Un buffet est servi, on fait des jeux et il y a de la musique. C’est un vrai réveillon! La seule exigence est d’être à jeun», indique-t-elle.

Le résident s’accroche pour pouvoir revivre ce moment festif une dernière fois, mais Patricia s’est montrée très claire avec celui dont la condition évolue de semaine en semaine.

«Écoute-moi ben Normand, tu vas en avoir un réveillon. S’il le faut, on fêtera Noël le soir de l’Halloween.» C’est lui qui aura le dernier mot.

La directrice du centre a le don de se montrer rassurante, de lui enlever toute source de stress inutile. Cet homme, souligne-t-elle encore, laisse en héritage une belle histoire, un récit sur son courage, mais également sur la force de l’entraide qui s’articule autour de lui.

«On va aller jusqu’au bout avec toi», lui promet de nouveau Patricia. Normand-Gilles n’en a jamais douté.

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