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Un père de famille de la Saskatchewan tweete une photo de son fils souriant, qui tient une boîte de pilules comme s’il s’agissait d’une PlayStation toute neuve. Une mère albertaine passe à la télévision nationale avec sa fille de 12 ans, qui espère que cette même boîte de pilules lui permettra « d’être une enfant normale pour une journée ».
Si jamais il y avait un « bon moment » pour une maladie génétique qui provoque des infections pulmonaires persistantes et qui réduit la durée de vie de moitié, voire plus, c’est bien celui-ci. C’est « le moment qu’attendent toutes les personnes atteintes de maladies », déclare Kelly Grover, chef de la direction de Fibrose kystique Canada. Madame Grover ne trouve pas les mots pour exprimer ce qu’elle a ressenti le jour où Santé Canada a approuvé Trikafta, un « médicament miracle » pour soigner la fibrose kystique. « Rien qu’à en parler, je deviens émotive », dit-elle. « Nous sommes incroyablement fortunés d’être témoins d’un changement de cette ampleur pour une maladie », ajoute-t-elle.
Comme le sait toute personne investie dans un organisme caritatif en santé, une boîte de Trikafta représente bien plus que des pilules. Pour les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé dont la mission principale est, en fin de compte, de trouver un remède, ces pilules symbolisent des dizaines d’années de recherche basée sur les renseignements sur les patients, de revendications et de soutien entrepris par des réseaux d’un bout à l’autre du pays. Ce médicament symbolise des milliers de dollars recueillis dans des collectes de fonds, des milliers d’heures de bénévolat et un échange constant de pétitions, de lettres et de réunions avec les représentants élus.
Il est tentant d’affirmer que les pilules symbolisent l’espoir, mais c’est encore plus que cela. C’est ce qu’affirme Connie Côté, chef de la direction de la Coalition canadienne des organismes de bienfaisance en santé (CCOBS), un groupe fondé sur l’adhésion de 24 organismes bénévoles nationaux en santé qu’elle appelle une « coalition de volontaires ».
« Ce médicament représente tout pour moi, car il signifie que je pourrai peut-être assister au mariage de ma petite-fille ou tenir mon premier petit-enfant dans mes bras. Il signifie que je pourrai peut-être faire de la confiture de fraises l’été prochain », explique-t-elle. « C’est la réalité. Il leur permet d’avoir un câlin de plus, de se promener une autre fois dans les bois, ou de donner un autre baiser. C’est tellement important. »
Combler les lacunes du système
Le système de santé canadien est en crise. Lors d’un sommet d’urgence convoqué en octobre, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada a déclaré que le système était « à bout de souffle ». Une déclaration récente de l’Association médicale canadienne et une lettre de mandat de l’économie des soins brossent un tableau sombre des travailleurs de la santé « épuisés et démoralisés », des pénuries chroniques de personnel, des retards dans les opérations chirurgicales et du nombre sans précédent de Canadiens qui n’ont pas accès à un médecin de famille.
C’est dans un tel contexte que les membres de la CCOBS vaquent à leurs occupations, conscients du fait que lorsque de tels systèmes s’effondrent, les personnes les plus vulnérables sont celles atteintes d’une maladie chronique et mortelle.
Neuf mois après le début de la pandémie, alors que les membres de la CCOBS traversaient leur propre crise (pertes de revenus se chiffrant en millions, licenciements et réduction des budgets de recherche), ils se sont unis : « La maladie et le besoin de services sociaux et de renseignements fondés sur des données probantes ne s’arrêtent pas à cause de la crise », énonce la réponse de la CCOBS à l’énoncé économique de l’automne 2020, pour demander un financement de 131 millions de dollars. Dans le Globe and Mail, Pamela Valentine, chef de la direction de la Société canadienne de la sclérose en plaques, et Anthony Feinstein, chercheur en sclérose en plaques au Sunnybrook Health Sciences Centre, ont écrit que « nous comblons de plus en plus les lacunes du système de santé; en situation de pandémie, ces lacunes peuvent devenir des gouffres. La demande de nos services est en hausse au moment même où les dons de charité — l’épine dorsale de notre modèle de financement — se sont taris. »
Combler des lacunes ne représente rien de nouveau. En 1946, un politicien du parti travailliste gallois a déclaré à la Chambre des communes britannique qu’un système de santé qui dépendait encore des collectes de fonds caritatives était « une honte pour une collectivité civilisée ». Une étude britannique récente examine la façon dont les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé se sont mobilisés pendant la pandémie, où ils ont joué à la fois le rôle de « signal d’alarme » pour le gouvernement et de source d’inspiration. « Loin de se contenter de “combler les lacunes” de l’État providence, ces organismes caritatifs montrent souvent la voie en améliorant les normes de soins, en établissant des collaborations professionnelles, en sensibilisant la collectivité et en procédant à des adaptations rapides si nécessaire », notent les auteurs.
À l’intersection de la santé et des problèmes systémiques
Les gouvernements n’apprécient pas toujours le rôle important que jouent les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé au Canada, déclare Jennifer Nebesky, directrice générale de la Fondation canadienne du foie (FCF). Si vous retirez les organismes de bienfaisance de l’équation, « les gens vont être laissés pour compte », dit-elle, ou ils se tourneront vers le système de soins de santé pour chercher de l’aide, ou simplement pour essayer de comprendre leur maladie.
Madame Nebesky passe des heures au téléphone à fournir des renseignements et du soutien sur les maladies du foie, qui touchent huit à neuf millions de Canadiens. « Je dis toujours aux gens qu’une fois diagnostiqués, la prochaine entité à appeler est une association caritative de santé. »
Le fait de renseigner les personnes sur les plus de 100 types de maladies du foie, dont une seule, contrairement à la croyance populaire, est causée par une consommation excessive d’alcool, doit être assez décourageant. Madame Nebesky remarque de plus que les maladies du foie « touchent également un large éventail de collectivités marginalisées, dont les communautés raciales, les collectivités LGBTQ2S+, les populations autochtones et les personnes en situation d’inquiétude alimentaire », ce qui met en lumière des préjugés et d’autres problèmes systémiques.
In Plain Sight, un examen indépendant commandé par le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, a révélé des résultats « troublants » qui indiquent un racisme systémique généralisé à l’encontre des populations autochtones dans le système de santé de la province. En effet, 26 % des Autochtones interrogés dans le cadre de l’enquête ont déclaré qu’on leur posait « toujours » des questions sur leur consommation de substances psychoactives lorsqu’ils se faisaient soigner, par rapport à seulement 5 % des personnes non autochtones.
La FCF met en lumière des histoires de stigmatisation dans son blogue. L’idée préconçue des médecins selon laquelle Celina Thibault, une femme crie de l’Alberta, consommait trop d’alcool alors qu’elle n’en consommait presque pas, a entraîné un tel retard dans son traitement que sa maladie a progressé jusqu’à une insuffisance hépatique de stade quatre. « C’était un stéréotype tellement horrible qui m’a mis en colère », écrit Madame Thibault.
Madame Nebesky entend ce type d’histoire tous les jours. Éventuellement, la cause nous tient vraiment à cœur, explique-t-elle, surtout dans le cas des receveurs de greffes. Elle se souvient de Tara Bourque, une ancienne collègue de Fibrose kystique Canada atteinte de fibrose kystique, qui a reçu un appel pour recevoir une transplantation pulmonaire qui lui sauverait la vie. « J’ai la chair de poule rien qu’en y pensant », dit-elle. « Les gens nous confient leurs histoires. Ils mettent leurs espoirs et leur foi en nous pour être sûrs que nous décrocherons la lune pour eux, et que nous partagerons avec eux les connaissances de la CCOBS et les expériences de la collectivité.
Transformer les histoires personnelles en politiques
Tandis que les histoires des divers organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé convergent vers la CCOBS, Madame Côté transforme les histoires personnelles en politiques, en initiatives de recherche, en énoncés de position, en présentations prébudgétaires et même en un guide afin d’aider les personnes à naviguer à travers un système de soins de santé qui comporte 13 régimes provinciaux et territoriaux et une couverture très variable en matière de médicaments et de traitements.
Les organismes de bienfaisance sont en première ligne pour apporter soins et soutien aux familles. « Je suis le gratte-papier », affirme Madame Côté. « La vraie vie se passe dans les collectivités, et dans de nombreux cas, les organismes de bienfaisance en santé sont les premiers à tendre la main aux personnes lorsqu’elles sont à l’étape du diagnostic précoce. »
Morgan Davidson, directeur du marketing et des communications de la FCF, souligne la portée de la FCF, qui sert des millions de patients par l’entremise de ses organismes membres. « Je suis prêt à parier que toute personne que vous croisez dans la rue est touchée par le travail de l’un des membres de la CCOBS. Il peut s’agir de vous-même, de votre soignant ou d’un proche, ou d’une personne qui est atteinte du diabète, d’une maladie du foie, de la fibrose kystique ou du cancer. »
L’une des premières choses que Madame Nebesky a faites lorsqu’elle a pris les rênes de la FCF en janvier 2020, au pied du précipice de la pandémie, a été « d’appeler Connie », dit-elle. Elle s’est tournée vers la coalition pour obtenir des renseignements sur le virus « fiables et fondés sur des données probantes », en particulier sur la façon dont il touche les patients atteints de maladies du foie, et pour défendre les intérêts de ces derniers en matière de COVID-19.
Comme la FCF ne dispose d’aucune ressource interne pour la défense, le soutien de la CCOBS est essentiel, déclare Madame Nebesky, en particulier dans le contexte d’un monde postpandémie. Récemment, la coalition a demandé plus de clarté en réponse à la recommandation du Comité consultatif national de l’immunisation pour une troisième dose de vaccin contre la COVID-19 chez les personnes immunodéprimées. « Les Canadiens qui sont modérément ou gravement immunodéprimés restent confus et effrayés quant aux répercussions que la COVID-19 aura sur eux et sur leurs êtres chers », écrivent-ils, en notant qu’un rappel « peut être une question de vie ou de mort pour certains des Canadiens les plus vulnérables ».
Le pouvoir des grands nombres
Kelly Grover se souvient d’avoir pensé, lors de sa première réunion de la CCOBS, des années avant de se joindre à Fibrose kystique Canada : « C’est ma place, car c’est ici que l’on apprend ce que font les autres ». Pendant la pandémie de COVID-19, cela s’est traduit par le partage de connaissances sur les politiques de vaccination, les modèles de travail hybrides et la transition vers des événements virtuels. En matière de recherche, dit-elle, la mobilisation d’organismes comme les Instituts de recherche en santé du Canada à titre de collectif produit de meilleurs résultats : « Ils ne voudront pas rencontrer un seul groupe », dit Madame Grover. « Ils veulent entendre plus qu’une seule voix. ».
Récemment, Fibrose kystique Canada s’est efforcé d’obtenir la couverture de Trikafta par les régimes de santé provinciaux et territoriaux. La position de longue date de la coalition sur l’accès aux médicaments est à la base de ce plaidoyer : « Tous les Canadiens devraient avoir accès de manière équitable et en temps opportun à des médicaments sur ordonnance nécessaires, en fonction des meilleurs résultats possibles en matière de santé plutôt que de la capacité de payer ». Cette position s’inscrit dans une démarche plus vaste afin de « favoriser le changement du système », notamment en élaborant une stratégie de financement des médicaments pour les maladies rares.
Pour Sara Aldrich, une jeune femme de 23 ans atteinte de fibrose kystique à qui un médecin a dit de « se préparer à mourir » alors qu’elle était au secondaire, le changement dans le système pourrait arriver trop tard. En raison d’un problème de financement « multidimensionnel » qui n’est pas facile à résoudre, selon un porte-parole de Fibrose kystique Canada, Madame Aldrich a été informée que Trikafta n’était « pas rentable » et s’est vu refuser une couverture en Ontario. « Imaginez qu’on vous dise qu’il existe un médicament extraordinaire qui vous sauvera la vie et qu’on vous le refuse ensuite », a déclaré Madame Aldrich au Ottawa Citizen. En 2018, la moitié des décès causés par la fibrose kystique au Canada concernaient des personnes âgées de moins de 33 ans.
Malheureusement, « le fossé entre nos valeurs et notre réalité n’a pas encore été comblé », selon A Prescription for Canada : Achieving Pharmacare for All, le rapport final du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, pour lequel la CCOBS a offert des perspectives de patients, des soumissions écrites et bien plus encore.
Investir dans la recherche en santé
Karen Lee, chef de la direction de Parkinson Canada, titulaire d’un doctorat en médecine cellulaire et moléculaire et ayant occupé des postes de recherche au sein de la Société canadienne de la sclérose en plaques pendant près de 12 ans, se souvient d’une initiative « peu passionnante », mais importante menée par la CCOBS à l’époque où elle travaillait en laboratoire. Une politique de la CCOBS afin de garantir que 100 % du financement des donateurs aille aux chercheurs au lieu de servir à payer des coûts indirects, comme le chauffage et l’éclairage, ainsi qu’aux hôpitaux et aux institutions universitaires qui les abritent, faisait partie d’un message plus large selon lequel la recherche en santé mérite mieux.
Une déclaration de position de la CCOBS l’exprime ainsi : « Nous pensons que le financement de ces coûts relève de la responsabilité des gouvernements ou des institutions de recherche et non des donateurs. » Dans une présentation prébudgétaire de 2018 au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, la CCOBS a déclaré que la recherche « joue un rôle impératif dans l’amélioration de la vie des patients en ce qu’elle crée de nouvelles voies de découverte et améliore la base de connaissances commune de la science ». « Malheureusement, les investissements fédéraux dans la recherche en matière de santé n’ont pas augmenté depuis 2008 », a-t-elle noté.
Pendant vingt ans, la CCOBS a suivi une trajectoire différente, en investissant collectivement (avant la pandémie) 155 millions de dollars par an dans la recherche en santé, et en soutenant plus de 1 300 chercheurs principaux et 2 500 stagiaires. Les instituts de recherche « dépendent fortement » du financement des organismes de bienfaisance en santé, selon une lettre au premier ministre Justin Trudeau en 2020 pour demander de l’aide lorsque les organismes de bienfaisance peinaient à se maintenir à flot, signée par plus de 1 000 chercheurs.
En mars 2021, Paul-Émile Cloutier, chef de la direction de Santé Canada, a décrit l’état actuel de la recherche comme « une honte nationale », en blâmant plusieurs dizaines d’années de sous-investissement et un « financement de fortune » qui repose « beaucoup trop sur la bienveillance des donateurs privés ». Les investissements dans la recherche en matière de santé sont « gravement insuffisants », note-t-il, puisqu’ils ne représentent que 0,43 % des dépenses totales en santé, par rapport à 3,8 % aux États-Unis et à 2,4 % en Australie. Le budget fédéral de 2018 contenait de bonnes nouvelles en matière d’investissements dans la recherche en santé, mais Monsieur Cloutier attend toujours de voir des résultats concrets.
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